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Proches aidants: Prendre soin de l’autre

Quelque 8,8 millions de personnes habitent en Suisse – et vivent de plus en plus longtemps. Dans ce contexte, avec la pénurie de personnel infirmier qualifié, les soins prodigués par des proches gagnent en importance. La combinaison de possibilités d’emploi pour les proches aidants avec davantage d’aide de proximité pour le travail de care, ainsi qu’une vision d’ensemble, pourraient s’avérer décisives pour l’avenir.

Texte: Nicole Eggimann

Monsieur A., 90 ans, est atteint de démence depuis plusieurs années. Madame A., 81 ans, ne peut plus le laisser seul. Ce serait trop dangereux. Un service d’aide et de soins à domicile passe deux fois par semaine. Pendant ce temps précieux, Madame A. fait rapidement ses courses. Si elle doit faire quelque chose de plus, elle s’organise avec son fils, qui n’habite pas trop loin et l’aide de son mieux, mais qui a une activité professionnelle. Avant la maladie, le couple était actif, faisait de longues randonnées à vélo, partait tous les mercredis en montagne avec son groupe de marcheurs et se retrouvait avec des amis pour jouer aux cartes. Tempi passati.

Quelque 8,8 millions de personnes vivent aujourd’hui en Suisse. Et elles sont en moyenne de plus en plus âgées. Ce qui, dans le meilleur des cas, est positif pour la personne qui vieillit, a aussi un côté négatif. Les progrès médicaux, diagnostiques et thérapeutiques allongent la phase de dépendance en fin de vie.

 
Les soins en chiffres

Alors que, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 13,6% des plus de 80 ans vivaient dans un établissement médico-social fin 2022, 32,4% des personnes du même âge avaient recours à des soins à domicile. Cela répond au besoin de nombreuses personnes de pouvoir vivre chez elles le plus longtemps possible. Certaines pourront réaliser leur souhait d’autonomie et d’indépendance, d’autres auront besoin d’assistance. Ce besoin peut varier et les données ne sont pas très claires à ce sujet. Selon l’OFS, en 2017, 20,9% des femmes de plus de 80 ans et 13,3% des hommes ont eu recours, régu­lièrement ou temporairement, à des services d’aide et de soins à domicile. Ceux-ci ne remplacent toutefois pas l’aide informelle sur laquelle plus de la moitié des personnes concernées peuvent compter.

 

Un soutien important

En ces temps de pénurie de personnel infirmier et médical, l’aide des proches est un soutien important. Les soins et l’assistance que les proches fournissent souvent en toute discrétion sont d’une importance capitale pour les services de santé en Suisse. Ils sont dispensés par les conjoints, les enfants, les belles-filles et les beaux-fils. Là non plus, l’évolution démographique n’aide pas: la fille de la famille, qui autrefois aurait eu deux enfants, n’en a plus que 1,39 en moyenne; le fils ne travaille plus dans le village voisin mais pendule, et le mari est devenu un ex-mari. Autant dire que les ressources familiales sont elles aussi soumises à une pression croissante. Lorsque des membres de la famille ont besoin d’aide, ce sont encore souvent les femmes qui interviennent. Environ 600?000 personnes effectuent un travail de care (non rémunéré).

Bien qu’elle soit importante pour les familles et la société, cette activité représente également un risque de pauvreté pour les personnes concernées. Il va falloir réduire son temps de travail pour s’occuper de ses enfants malades, de son conjoint ou de ses proches vieillissants, ou être dans l’impossibilité de reprendre le travail après la naissance d’un enfant handicapé. D’une part, la maladie est une charge émotionnelle et financière pour les personnes qui en souffrent, mais aussi pour les proches aidants. Ceux-ci perdent le salaire qu’ils auraient gagné dans d’autres circonstances. De surcroît, des lacunes dans leur prévoyance vieillesse génèrent de nouveaux problèmes au plus tard lors de leur propre retraite: les rentes sont moins élevées.

 

Profession: s’occuper d’un proche

Ce problème a été reconnu et abordé depuis que, au plus tard dès 2019, les organisations d’aide et de soins à domicile peuvent également engager des proches qui soignent sans diplôme d’infirmier. Une fois engagés, ces derniers suivent un cours d’auxiliaire de santé (ou un autre cours équivalent), documentent leur prestation de travail et sont accompagnés par une infirmière ou un infirmier diplômé qui assume la responsabilité du cas. Ils reçoivent ainsi une rémunération pour le travail qu’ils effectueraient de toute façon et sont couverts par la sécurité sociale. Mais seuls les soins de base, c’est-à-dire l’aide à l’habillage, les soins corporels ou le service des repas, sont pris en charge. Les personnes qui souhaitent se faire rembourser les services d’aide ménagère ou d’assistance doivent envisager un autre financement via les assurances correspondantes de la personne aidée. Les actes de soins tels que la mesure des signes vitaux, l’administration de médicaments ou d’injections doivent être effectués par des employés de l’entreprise de soins à domicile ayant reçu une formation adéquate. Or, ces entreprises sont confrontées aux mêmes problèmes que le reste du domaine: les soins à domicile sont de plus en plus complexes et chronophages, le manque de personnel qualifié tout aussi prononcé.

Ainsi, la possibilité de confier une partie du travail à accomplir, à savoir les soins de base les moins complexes, à des non-professionnels formés que sont généralement les proches aidants, peut être une solution créative et judicieuse. Les infirmières diplômées peuvent intervenir là où leurs connaissances sont nécessaires et sont ainsi déchargées. Dans tous les cas, il s’agit d’une situation gagnant-gagnant, mais il faut toujours tenir compte des circonstances souvent complexes de chaque cas.

 

Rôle central des infirmières

L’entreprise d’aide et de soins à domicile est responsable de la qualité du travail fourni par les proches aidants qu’il emploie. Dans ce contexte, les infirmières responsables de cas jouent un rôle important d’interface. Au début, elles évaluent par écrit les besoins en soins de la personne, clarifient son environnement, obtiennent l’ordonnance médicale pour une durée maximale de neuf mois et établissent un plan de soins individuel avec les proches. Après neuf mois, une nouvelle évaluation des prestations à fournir, respectivement des soins requis, est nécessaire. Entre-temps, les infirmières apportent un soutien professionnel et humain aux proches aidants, donnent des conseils sur le contenu et effectuent des visites régulières sur place. Il est ici important de mettre à la disposition du personnel infirmier les outils nécessaires et des normes de qualité uniformes afin qu’ils puissent remplir leur fonction d’interface de manière optimale.

 

Une étape importante

L’embauche de proches aidants comble une lacune importante, mais elle ne résout évidemment pas tous les problèmes

Pouvoir recharger ses batteries, voilà ce qui manque à Madame A.; elle ne part pas faire cette randonnée qui lui est si chère, n’en a ni le temps ni l’énergie. C’est lourd. Ses nerfs sont mis à rude épreuve. A mesure que la maladie progresse chez Monsieur A., la charge de son épouse augmente. En fait, tout est trop pour elle. Mais le couple ne peut pas se permettre de recevoir plus de soutien ou même d’aller en maison de retraite. Il ne reçoit pas non plus d’aide financière car sa maison est considérée comme un patrimoine, mais il n’en dispose pas sous forme de liquidités.

Les proches aidants sont parfois présents 24h/24 auprès des personnes dont ils s’occupent. Evidemment, cela peut facilement conduire à un surmenage et à une surcharge. Il est important que les patients reçoivent les soins qui leur sont dus et que les proches reçoivent la protection nécessaire. Prendre soin d’un proche entraîne inévitablement une modification de la relation. Le mari et l’épouse ou la mère et le fils deviennent le soignant et le soigné. Cela implique un déséquilibre de pouvoir que les deux parties doivent apprendre à gérer. Il est alors important que les proches aidants apprennent à identifier les besoins et les problèmes, afin d’éviter la surcharge et de s’assurer que les professionnels des soins infirmiers peuvent prendre le relais au bon moment.

 

Soins et assistance

Une solution pour soulager les proches aidants, salariés ou non, est de distinguer et de séparer les soins et l’assistance. Tout le monde n’est pas un professionnel des soins infirmiers avec ses compétences en matière de soins, mais tout un chacun peut rendre service à une amie ou à un voisin dans le besoin, offrant ainsi aux proches aidants un peu de ce répit dont ils ont tant besoin: faire une course, participer à la préparation des repas, jouer à un jeu de société avec la personne aidée ou lui lire une histoire, prendre en charge une démarche administrative.

Les personnes concernées racontent (a posteriori) qu’il existe de nombreuses offres et initiatives. Comme il n’y a tout simplement pas de point de contact central, les offres doivent être trouvées et organisées au prix d’un long travail de recherche. Cela demande du temps et de l’énergie, ce qui manque souvent aux proches aidants lorsqu’ils ont le plus besoin d’aide. Les bourses de temps ou les soins holistiques auto-organisés de Buurtzorg (voir «Soins infirmiers» de mars 2020) sont deux exemples parmi les nombreuses offres d’aide de voisinage qui fonctionnent avec succès. Selon l’Office fédéral de la statistique, un tiers des hommes et des femmes aident gratuitement d’autres personnes ayant des problèmes de santé. Il est bon de constater que dans notre société de plus en plus marquée par l’individualisme et souvent par l’égoïsme, un tel engagement existe et est vécu. En ces temps de difficultés économiques et de besoin croissant de soutien, cette attitude solidaire va devenir de plus en plus importante.

Lorsque Monsieur A. décède finalement, outre la tristesse, c’est aussi un soulagement pour la famille. Après être sortie du gouffre dans lequel elle était tombée, Madame A. commence peu à peu à profiter à nouveau de la vie. Elle se souvient des bons moments passés avec son mari et aujourd’hui, on la voit à nouveau le mercredi avec le groupe de marche.

 

Défis démographiques et sociaux

Chaque mois, entre 300 et 400 soignants quittent la profession. D’ici 2040, le nombre de personnes de plus de 80 ans augmentera de 88% (!) et 80?000 soignants supplémentaires seront nécessaires. Il est clair qu’il faut former davantage de professionnels (paquet 1 de l’initiative sur les soins infirmiers) et que les conditions de travail doivent être aménagées de manière à ce que les infirmières veuillent et puissent rester dans la profession (paquet 2 de l’initiative sur les soins infirmiers). En outre, il est permis d’espérer les évolutions dans le domaine du développement technique. Espérer est une chose, mais le fait est qu’au début, souvent à la fin de la vie (et parfois aussi au milieu), l’être humain est dépendant des autres ou des soins. C’est un point que l’on a tendance à occulter, en particulier dans notre société individualiste.

Cogito ergo sum – je pense, donc je suis. Moi, l’individu. «Cette ignorance de la dépendance et de l’interdépendance a pour conséquence que les besoins de care, qui nous définissent en tant qu’êtres humains, ne se voient pas accorder l’importance qu’ils requièrent. Cette ignorance a de multiples répercussions: les activités de care sont reléguées dans le domaine de responsabilité de la famille, de la sphère privée. Des personnes privilégiées peuvent s’acheter des activités de care et continuer à ignorer qu’elles en dépendent», estime Christine Bally, responsable du Département formation de l’ASI. Selon Tronto (1993), si cette question de la juste prise en compte du care était posée dans une société, la réponse impliquerait de repenser en profondeur notre vie morale et politique. Cela signifie que les soins aux proches passeraient de la sphère privée à la sphère publique.

La société et la politique peuvent aujourd’hui influencer de façon déterminante la manière dont les Monsieur et Madame A. de 2040 seront soutenus dans leur destin. Allons-y.

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Ce point fort est paru dans le numéro 4/2024 de Soins infirmiers, la revue spécialisée de l'ASI.

La revue spécialisée en soins infirmiers paraît 11 fois par an en trois langues. Les membres de l'ASI la reçoivent gratuitement. Les autres personnes intéressées peuvent s'abonner à la revue spécialisée. Un abonnement annuel coûte 99 francs.

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